L’affaire qui oppose le procureur général près la cour de cassation a pris une tournure sérieuse avec l’audition, par la Commission spéciale de l’Assemblée nationale, de ce haut magistrat le mardi 27 mai 2025. Cette audition a été faire suite à la réquisition adressée à la chambre basse du Parlement par laquelle le Ministère public sollicite l’autorisation des poursuites contre le ministre en charge de la Justice et Garde des sceaux accusé d’un présumé détournement des fonds devant servir à construire une prison à Kisangani, dans la province de la Tshopo.
Lors de cette audition, le procureur général Firmin Mvonde a fourni moult details qui concourent à l’infraction de détournement de la part du ministre de la justice. Il a commence par produire une note explicative du réquisitoire n°183/RMP/2025 par laquelle la Cour de cassation a été informée du paiement d’un montant de 19.900.000 USD en faveur de la société Zion Construction Sarl dans un compte ouvert dans les livres de la Rawbank. Un jour avant ledit paiement, la Cellule nationale des Renseignements financiers-CENAREF- a diligenté une enquête qui a révélé que le 16 avril 2025, le ministre de la Justice et Garde des Sceaux a, par l’ordre de paiement n°856/CAB/ME/MIN/J&GS/CF/2025, instruit la Banque de débiter le compte n°05100-05101-01024845401-28 USD, intitulé Ministère de la Justice V/C FRIVAO de ce montant pour créditer le compte n°05100-25101-01145175001-47 USD de la société Zion Construction SARL.
Par ailleurs, par sa lettre n° 043/DMK 0059/DIRCAB/CAB/ME/MINJ&GS/2025 du 15/01/2025, le ministre Constant Mutamba a sollicité de la Direction générale de contrôle des marchés publics-DGCMP- l’autorisation de recourir à la procédure de gré à gré pour la réalisation du projet de construction d’un bâtiment carcéral à Kisangani.
Le Directeur général intérimaire de la DGCMP, par sa lettre n°0094/DGCMP/DG/DCP/D1/KL/2025 du 31/01/2025, lui a refusé cette autorisation tout en lui demandant de fournir des pièces justificatives. Au lieu de s’arrêter là, Constant Mutamba par sa lettre n° 333/DIR/CAB/002/CAB/ME/MIN&GS/2025 du 19/2/2025, a sollicité de nouveau ladite autorisation. Le Directeur général a.i. de la DGCMP par sa lettre n°0316/DGCMP/DG/DCP/D1/JMZ/2025 du 26/02/2025, lui accorde cette autorisation spéciale de recourir à la procédure de gré à gré avec la société Zion Construction au coût de 39.877.067,96 USD hors taxe.
Interpellé par le procureur général près la Cour de cassation, le Directeur général a.i. de la DGCMP s’étonne de l’indélicatesse du ministre d’Etat préqualifié qui, au lieu de lui transmettre le projet de contrat pour examen et éventuellement obtenir l’avis de non objection, préalable pour la poursuite de la procédure, s’est précipité de solliciter de la Première ministre l’approbation dudit marché.
Pire encore, dans sa lettr n°729/LW436/WEA/CAB/ME /MIN&GS/2025 du 01/04/2025 (cote 06), le ministre Mutamba prétend avoir transmis à la Première ministre le contrat de marché de gré à gré signé avec la société Zion Construction SARL alors que le contrat transmis par cette société et la Rawbank, suivant leur lettre n° ZION/AVRIL/2204 du 22 avril 2025 et DEO/RB/AN/JR/454/25 du 29 avril 2025, n’a été signé que le 14 avril 2025.
En outre, dans sa lettre n° 991/LW800/WEA /ME/MIN/J&GS/2025 adressée au Secrétaire exécutif de la CENAREF, le ministre Mutamba préqualifié affirme au point 5, qu’en application de l’article 20 du décret n° 23/12 du 03/3/2023, il avait obtenu l’approbation de la Première ministre qui n’a pas réagi dans le délai requis. Il a oublié délibérément qu’aux termes de l’article 136 du décret sus-évoqué, cette approbation ne peut être obtenue qu’après avoir préalablement obtenu l’avis de non objection et signé le contrat. (cote 08).
C’est dire que les étapes prévues par la loi relative aux marchés publics doivent être accomplies de manière chronologique, de sorte qu’en cas de non réalisation d’une étape, l’on ne peut passer à l’étape suivante au risque de bloquer la procédure. Dès lors, le délai de 10 jours prévu à l’article 20 al 2 et 3 du décret sus évoqué concerne l’approbation du marché dont le processus a été régulièrement suivi et dont il n’existe aucune ambiguïté.
Pourtant, il y a ambiguïté dans ce cas, car non seulement le processus n’a pas été régulièrement suivi du fait que d’autres étapes ont été délibérément escamotées, mais en plus, il y a ambiguïté car la copie du contrat en votre possession date du 14/04/2025 (cote 07), alors que sa demande d’approbation date du 1er avril 2025. Par consequent, la Première ministre ne pouvait approuver un contrat qui n’existait pas encore en ce moment-là.
Par ailleurs, dans cette lettre de demande d’approbation du 1er avril 2025, le ministre de la Justice préqualifié se réfère à l’autorisation spéciale de la DGCMP suivant la lettre n°0316/DGCMP/DG/DCP/D1/JMZ/2025 du 26/02/2025 du Directeur général intérimaire. Cette dernière lettre accorde l’autorisation spéciale de recourir au marché de gré à gré pour un montant de 39.877.067,96 USD. Or, le contrat dont question, porte sur un marché de 29.000.000 USD.
Précisons qu’au point 6 de l’Ordonnance n°22/003 du 07/01/2022 fixant les attributions des ministères, seul le ministre des ITP est compétent notamment pour concevoir et construire les édifices publics en collaboration, le cas échéant, avec le ministre sectoriel concerné par le projet d’infrastructures.
C’est dire que dans le cas d’espèce, le contrat devait être signé par le ministre des ITP en collaboration, le cas échéant, avec le ministre sectoriel. Pourtant, Constant Mutamba a délibérement ignoré son collègue des ITP car dans ses différentes correspondances adressées au Directeur général a.i. de la DGCMP et à la Première ministre, il n’a pas réservé copie à son collègue des ITP.
Plus loin, le ministre d’Etat préqualifié prétend, dans sa 991/LW800/WEA/CAB/ME/MILM/J&GS/2025 du 7 mai 2025 sus- évoquée, qu’il avait été décidé, lors de la 21ème réunion du Conseil des ministres du vendredi 8 novembre 2024, la construction d’une nouvelle prison et/ou des maisons d’arrêt à Kinshasa ou en province. Curieusement, dans le compte-rendu de cette reunion, il n’est nullement question de la construction d’une maison carcérale à Kisangani. Le Conseil des ministres s’est appesanti sur la situation de la prison centrale de Makala et de la prison militaire de Ndolo en recommandant l’érection des maisons d’arrêt provisoires à Kinshasa dans des sites à identifier.
Le cas de la société Zion Construction Sarl
Les pièces du dossier montrent que cette société, nouvellement créée le 28 mars 2024, n’est pas agréée par le ministère des ITP, faute de certificat lui délivré par ce dernier. Elle n’a pas un personnel administratif et technique. Sa déclaration mensuelle des impôts professionnels et exceptionnels sur les rémunérations de mars 2025 renseigne qu’elle n’a qu’un seul employé, l’associé actif.
Le certificat d’Immatriculation et de déclaration d’embauche n° ONEM/DG/DIREC/GU/2417/2024 renseigne également que la société n’a déclaré que 2 employés à l’Onem.
Dans sa lettre du 15 janvier 2025 adressée à la DGCMP (cote 02), le ministre Mutamba affirme que le choix de cette société repose sur plusieurs critères essentiels; qu’elle se distingue par son sérieux, sa capacité à proposer une offre budgétaire raisonnable et son expérience avérée dans la construction des maisons pénitentiaires, tant au niveau national qu’international.
De l’article 48 de la loi n°10/10 du 17/04/2010 relative aux marchés publics qui oblige la domiciliation bancaire du cocontractant indique que le paiement devrait se faire au compte n° 000111500662001229260233 ouvert en les livres d’Equity -BCDC, sous l’intitulé Zion Construction SARI. Curieusement ce paiement s’est effectué, sur instruction du ministre d’Etat préqualifié au compte n 05100-2501145175001-47 USD sous l’intitulé société Zion-Construction. Il s’agit d’une initiative propre du ministre, sans un quelconque avenant au contrat, violant ainsi les termes de celui-ci.
De l’article 152 du décret sus évoqué, par le non-respect de l’avance forfaitaire fixé à un maximum de 30% pour le marché des travaux publics. En l’espèce, le premier paiement devrait être de 8.970.000 USD soit 30%; cependant, l’acompte de 19.900.000 USD ordonné et payé par le ministre d’Etat est de 66%.
De l’article 153 du décret sus évoqué qui oblige que le paiement soit accompagné d’une garantie bancaire d’égal montant.
Devant ces différentes violations, et dans le souci de protéger les finances publiques en tenant compte du fait que ce montant provenait du compte FRIVAO, fonds destiné à l’indemnisation des victimes de la guerre de 6 jours à Kisangani, la CENAREF était dans l’obligation de procéder au gel et à la saisie de cette somme d’argent appartenant déjà à la société Zion Construction.
Le PG Firmin Mvonde a par ailleurs expliqué que contrairement à l’opinion répandue selon laquelle l’argent saisi se trouverait logé dans un compte séquestre, les pièces renseignent que cette somme d’argent se trouve bel et bien logé dans le compte privé de la société Zion-Construction dont elle pouvait disposer à sa guise. C’est le gel et la saisie qui ont rendu cette somme d’argent indisponible (cote 16).
En termes clairs, il a été procédé à la saisie de la somme d’argent appartenant à la société Zion-Construction et non appartenant au ministère de la Justice ou au Fonds spécial de repartition de l’indemnisation aux victimes des activités illicites de l’Ouganda en RDC ou leurs ayant droit- FRIVAO.
A ce jour, le ministre d’Etat en charge de la Justice et Garde des Sceaux n’a aucun pouvoir sur cette somme d’argent devenue une propriété de la société Zion par l’ordre de paiement.
Une réponse a été donnée à la Banque de créditer le compte courant de cette société créée pour le besoin de la cause. Contrairement aux allégations du ministre Mutamba, ce compte n’est pas un compte séquestre.
En outre, l’on relève qu’à ce stade des investigations, les enquêteurs n’ont pas été à mesure de localiser le terrain devant recevoir cette maison carcérale.
L’infraction de détournement constituée
Dans leur relation avec le droit, tel qu’exposés, ces faits sont susceptibles de constituer l’infraction de détournement des deniers publics prévus et réprimés par l’article 145 du CPLII.
En effet, aux termes de cet article tout fonctionnaire ou officier public, toute personne chargée d’un service public ou parastatal, toute personne représentant les intérêts de l’Etat ou d’une société étatique au sein d’une société privée, parastatal ou d’économie mixte en qualité d’administrateur, de gérant, de commissaire aux comptes ou à tout autre titre, tout mandataire ou préposé des personnes énumérées ci-dessus, qui aura détourné des deniers publics ou privés, des effets en tenant lieu, des pièces, titres, actes, effets, mobiliers qui étaient entre ses mains, soit en vertu soit à raison de sa charge sera puni d’un à vingt ans des travaux forcés
En matière de détournement, sont considérés comme fonctionnaires, non seulement les agents publics de carrières nommés à un grade de la hiérarchie pour occuper un emploi permanent, mais aussi toutes les personnes qui sont investies d’un mandant public, permanent ou temporaire, salarié ou gratuit… (Nyabirungi Mwene Sionga: la corruption des fonctionnaires publics, approche sociologique et juridique, in R.J.Z, 1974, p.44).
Au sens pénal, le ministre d’Etat chargé de la Justice et Garde des Sceaux est fonctionnaire. D’ailleurs le décret-loi n° 017/2002 du 03 octobre 2002 portant code de conduite de l’agent public de l’Etat reprend en son article 1er les membres du gouvernement comme agent public de l’Etat.
Le ministre d’Etat, au regard des pièces du dossier, a eu à manipuler des fonds publics logés dans le compte du ministère de la Justice en donnant l’ordre à la Rawbank de payer le 26 mars 2025, la somme de 19.900.000 USD à la société Zion Construction. Cette somme d’argent, provenant du compte Ministère de la Justice V/C FRIVAO, était destinée à l’indemnisation individuelle et collective des victimes, entités publiques et privées, affectées par les activités illicites de l’Ouganda sur notre territoire national.
Ainsi, le fait pour le ministre d’Etat d’ordonner ce paiement constitue avec évidence, un changement de destination de cette somme d’argent; en termes clairs, un détournement des deniers publics.
L’architecture de création de la société Zion Construction et de son choix ainsi que le non-respect des étapes prévues par la loi pour la réalisation de ce marché de gré à gré, n’avaient pour objectif final que la réalisation du détournement des fonds destinés à l’indemnisation des victimes.
Ainsi, dans l’intérêt supérieur de la bonne administration de la justice, il est de bon droit que le ministre d’Etat de la Justice et Garde des Sceaux, Mutamba, vienne donner sa version des faits et présenter ses moyens de défense.
Au cas où toutes les preuves recueillies ne seraient pas renversées par lui, le PG Firmin Mvonde s’est dit prêt à revenir à la Commission special de l’Assemblée pour solliciter, cette fois-là, l’autorisation des poursuites. Par contre, si le ministre d’Etat renverse les preuves à sa charge, le dossier sera classé sans suite.
Pour le PG Firmin Mvone, cette affaire demeure judiciaire et ne peut donner lieu à un quelconque malentendu, à une récupération politique ou à un règlement des comptes.