Mort en détention du major Muteba « Saddam » : une affaire technique transformée en dossier politique

Le décès en détention du major Muteba Pepe, surnommé « Saddam », jette une lumière crue sur les dérives de la justice militaire congolaise. Ce qui, au départ, relevait de simples soupçons techniques s’est progressivement transformé en une affaire éminemment politique, marquée par des violations répétées des droits fondamentaux.

Tout remonte à juin 2022. Plusieurs ingénieurs de la Société Congolaise des Postes et Télécommunications (SCPT) avaient été arrêtés par les services de sécurité, accusés d’avoir orchestré une cyberattaque contre des institutions congolaises avec l’appui supposé d’une « main noire » étrangère.

Mais depuis trois ans, aucune preuve technique n’a jamais été présentée. Le rapport final de la commission d’enquête, pourtant annoncée, n’a jamais été rendu public. La délégation intersyndicale de la SCPT a dénoncé une cabale judiciaire, affirmant que certains agents ont été arrêtés arbitrairement, d’autres contraints à l’exil, et que plusieurs demeurent encore détenus dans des conditions inhumaines, soumis à la torture, sans procès ni transfert devant une juridiction compétente.

Muteba, de l’«erreur d’appréciation » à la haute trahison

C’est dans ce climat d’opacité que le major Muteba, alors officier de permanence, fut impliqué. Dans la nuit du 20 au 21 juillet 2022, il interroge deux détenus – dont l’ingénieur de la SCPT, Danny Bokelo – avant de les raccompagner en cellule. Selon un collaborateur, il leur aurait accordé une brève sortie pour se soulager, jugeant tout risque de fuite inexistant dans ce périmètre militaire sécurisé.

Un geste de routine, qualifié par l’intéressé d’«erreur d’appréciation », fut interprété par sa hiérarchie comme un acte de haute trahison et de complicité avec l’ennemi. Placé en détention préventive à la prison militaire de Ndolo, le major Muteba y restera plus de deux ans sans procès. Sa mort, survenue récemment dans des circonstances non élucidées, est dénoncée par sa famille comme un «assassinat ». Elle réclame l’ouverture d’une enquête indépendante.

Une affaire hautement politisée

Pour de nombreux observateurs et ONG, cette affaire est symptomatique d’une justice sous tension. Dans un contexte où le conflit avec le Rwanda alimente les peurs et les soupçons, toute accusation d’espionnage ou de collusion avec «l’ennemi » prend une tournure politique immédiate. La présomption d’innocence n’est plus respectée et la détention devient, en elle-même, une condamnation.

Les syndicats de la SCPT et les défenseurs des droits humains dénoncent une répression arbitraire. Plusieurs ingénieurs restent emprisonnés sans jugement, d’autres sont sans nouvelles, tandis que certains vivent désormais en exil ou dans la clandestinité.

Un dossier encore plus sombre

Plus troublant encore, le sort de l’ingénieur Danny Bokelo Issey et de son codétenu demeure inconnu. Introuvables sur le territoire congolais, leur disparition ajoute une zone d’ombre supplémentaire à une affaire déjà marquée par de nombreuses zones grises.

Au-delà du cas du major Muteba, c’est toute la question du respect des droits fondamentaux, de l’indépendance de la justice et de la protection des citoyens face aux accusations d’État qui est posée. Une affaire technique est devenue, au fil des années, le symbole d’une politisation qui fragilise davantage la confiance entre institutions et citoyens.

La Rédaction

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